Bredene - Mer du Nord Milieu des années 50 |
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Dès
le lever du jour, ma mère était debout. Dans la cuisine, le café
passait, l'eau bouillait pour la toilette, la table était dressée
pour le déjeuner et l'instant des touches finales arrivait.
Dans
le hall d'entrée toujours un peu sombre, près de l'arcade garnie de
lourdes tentures en velours d'un kaki fatigué, une commode à deux
tiroirs occupait un pan de mur. Entre la porte de la cuisine et la
porte d'une lingerie anarchique, le meuble trônait. Surmonté
d'un grand miroir dont le tain, disparu par endroits, s'était étoilé
de petites fleurs grises ou rouille, il était le réceptacle ventru
de trésors multiples.
Ma
mère se campait fièrement devant le miroir, ouvrait le tiroir
supérieur de la commode et en sortait brosse, peigne, poudre de riz
et rouge à lèvres. Commençait alors l'alchimie des transformations
de la coiffure et du visage. Ses cheveux châtain foncé brossés,
relevés, tordus en un chignon serré se trouvaient emprisonnés, à
grand renfort d'épingles neige. Un dernier regard pour s'assurer
qu'aucune mèche rétive ne dépassait et, satisfaite, ma mère
passait à l'étape suivante : le maquillage.
Elle
ouvrait son poudrier, délicate petite boîte dorée ornée de fleurs
et d'arabesques gravées , en sortait la houppette en fin duvet et,
avec délicatesse, tamponnait chaque partie du visage. Le front, les
joues, le nez, les ailes du nez, le menton, tout y passait, rien ne
devait rester brillant. La matité de la peau semblait, à cette
époque, être l'expression suprême du bon goût.
Venait
ensuite la pose du rouge à lèvres. Penchée en avant, ma mère
entrouvrait la bouche, glissait avec soin le bâton de fard sur la
lèvre supérieure. Un trait à droite, un trait à gauche, un petit
ajustement sur l'ourlet pour mieux le souligner. La pose correcte des
traits rouges confirmée, elle passait à la partie inférieure. Là,
c'était un seul trait qui partait de la gauche vers la droite. Dans
le miroir, ses yeux si clairs observaient alors la bouche. Elle
serrait les lèvres, les ramenant vers l'intérieur pour mieux
égaliser le rouge sur les pourtours, relâchait les muscles,
vérifiait si les commissures ne «coulaient» pas et, satisfaite,
tendait enfin la main vers un petit flacon de parfum resté dans le
tiroir, bien à l'abri d'un mouvement malencontreux. Le bouchon en
verre était tourné puis soulevé avec mille précautions et c'était
lui qui déposait la fragrance subtile derrière chaque oreille, dans
le petit triangle concave du cou et sur les veines fragiles du
poignet.
Crédit photo : Marcel Lefrancq www://lefrancq.be |
Le
choix d'un bijou suivait. J'adorais cet instant. Tamara soulevait le
couvercle d' une longue boîte tapissée d'un tissu rose thé et dont
le couvercle était décoré de passementeries d'un délicat gris
argenté. La main fouillait, tirait un collier de perles nacrées, le
déposait, choisissait un pendentif russe en argent niellé,
hésitait entre des boucles d'oreilles finement perlées ou des
cabochons trop massifs à mon goût. Les bagues n'offraient pas un
large choix. En dehors de son alliance et d'une bague de fiançailles
garnie d'un minuscule diamant , ma mère ne possédait que des
anneaux de peu de valeur. Pour l'enfant que j'étais, ce coffret à
bijoux dans lequel reposaient encore deux ou trois épingles à
chapeau, quelques médaillons de la Maîtrise de Nimy et les
multiples perles d'un collier cassé possédait plus de valeur que la
boutique Cartier Place Vendôme. Avantage appréciable : pour
briller il suffisait, sans longs déplacements, de faire son choix
dans un coffret sis 207, Rue Grande à Maisières.
La
touche finale arrivait. Ma mère ouvrait le second tiroir dans
lequel elle rangeait ses foulards et ses «bibis» comme elle
appelait les chapeaux. Tout en chantonnant «C'est toi ma p'tit'
folie... », elle prenait son temps, hésitait, sortait différents
turbans tenus par un gros nœud central, cherchait le meilleur
assortiment entre foulard et turban du jour. Ce dernier, souvent en
jersey, pouvait être crème, mauve, rose ou bleu pâle . Les modèles
variaient peu car, une fois pour toute, Tamara avait décidé que les
«bibis» qui lui seyaient le mieux devaient être étroits et même
collants. En fait, débordant de couvre-chefs, le tiroir de la
commode, ne contenait que des clones.
L'ajustement
de la coiffure terminé, ma mère se tournait alors vers moi, posait
une main sur la hanche, relevait la seconde main entr'ouverte à
hauteur de l'épaule et pirouettait pour mieux me laisser l'admirer.
En été, une jupe large s'épanouissait en corolle autour des
jambes. En hiver, la jupe droite d'un tailleur gardait sa rigidité
et, seul, le mouvement des pieds attirait le regard vers les moirures
des bas nylon et les fines lignes plus foncées des coutures bien
tendues.
Perdue dans la campagne hennuyère, Tamara se voulait
l'égale de ces mannequins au charme suranné qui encombraient les
pages des journaux de mode. Son sourire apprêté en disait long sur
l'idée qu'elle se faisait de la femme d'après-guerre. Pour moi,
dans la lumière du petit matin, elle était splendide, elle sentait
bon et son «chic» me paraissait le meilleur.
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Crédit photo : Franz Moreau Le Mollard - Albiez Le Vieux (1946-47-48 ?) Vallée de la Maurienne |
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