A la mobilisation, mon père choisit de s'engager dans la cavalerie Ici, avec ma mère devant la maison de mes grands-parents à Quaregnon |
1939, la mobilisation |
Petit moment de détente à Ostende |
La suite se situe après la guerre...
Résistance à Quaregnon
La guerre venait de toucher à sa fin. Ma sœur, âgée de sept ans avait suivi les événements
comme tout enfant, comprenant certains faits, en éludant d'autres.
Une chose est sûre, elle avait bien compris que la chanson «Lily
Marlène» revue et corrigée par l'esprit borain toujours frondeur,
était interdite d'interprétation publique. Était-ce la taquinerie
contre Hitler ou la grossièreté des paroles qui avait jeté le
discrédit sur cet air populaire ? Allez savoir !
Qu'à cela ne
tienne, ma sœur décida de mémoriser les paroles et d'en être
l'interprète attitrée au sein de notre famille. On peut être très
jeune et, cependant, partie prenante dans un mouvement de résistance.
Bien entendu, aucun espoir de pouvoir être acceptée dans une
filière adulte. Elle créa donc son propre mouvement..
Égoïste, elle ne
l'était pas et m'introduisit rapidement dans son réseau. C'est
ainsi que, vers trois ans, je devins le second membre de «Chansons
et Résistance». A nous deux, nous allions expulser
les derniers ennemis de la Place de la Gare à Quaregnon.
Chanson interdite
dans les rues donc interdite aussi dans le magasin de nos
grands-parents et, suite évidente, dans la cuisine familiale où un
visiteur, entré à l'improviste, aurait pu l'entendre. Cela,
c'était l'explication donnée par mon aînée pour mieux m'entraîner
à l'extérieur de l'habitation vers le jardin et, ensuite, vers un
petit grenier désaffecté. Mais où donc, elle-même, l'avait-elle
entendue, cette chanson ? A cette époque, l'esprit d'investigation
n'était pas mon fort et je ne posai aucune question.
Les fins de
matinées ensoleillées, Danielle, prenant son air le plus innocent,
me saisissait la main, traversait la cuisine, l'arrière-cuisine et,
arrivée dans le petit jardin de notre grand-père, jetait un dernier
regard pour vérifier si personne ne nous voyait. M'incitant à
avancer plus vite , elle ouvrait la porte donnant accès au grenier
et m'y poussait prestement.
La porte fermée,
il fallait alors escalader un étroit escalier de meunier qui
s'élevait sur la gauche. La tâche était ardue. Mes petites
jambes peinaient à gravir des marches trop élevées. Danielle,
tout entière prise par son désir de résistance chantée, me
prenait dans ses bras et, soufflant, ahanant, arrivait à me hisser
jusqu'à un petit grenier normalement interdit à nos jeux. En
effet, le sol en pente, formé de voussettes de briques rouges,
présentait un danger certain d'effondrement si nous avions sauté
dessus. Bon, tant qu'à faire de l'opposition à l'ennemi, nous
pouvions également frôler le danger!
Prudente quand
même, ma sœur prenait soin de m'asseoir à l'extrémité supérieure
du sol, contre le mur où le risque de cassure était moindre. Là,
elle m'intimait l'ordre de ne plus bouger si je ne voulais pas
traverser le plafond. La menace était formulée avec une telle
précision, la chute possible m'était décrite avec tant de détails
que j'en retenais ma respiration.
Si l'attrait de la désobéissance
était un régal pour «la grande», il pouvait l'être aussi pour
«la petite». Je découvrais la transgression des interdits et,
dans ce domaine, l'enseignement de mon aînée pouvait être coté
«hors ligne».
L'installation
terminée, Danielle prenait alors place en face de moi, à l'autre
extrémité des voussettes et là, choisissant ses effets de
bras, de jambes, d'ondulations du ventre, elle commençait à chanter
sur l'air de «Lily Marlène» :
« Derrière
la caserne, un soldat allemand
Faisait sentinelle comme un
fainéant.
Je lui d'mandai : «Pourquoi
pleures-tu?»
y m'répondit : «Nous sommes
foutus,
Hitler a n'broque* à s'cul,
Hitler a n'broque à s'cul ».
La chanteuse
effectuait alors une révérence digne des plus grandes divas et
j'applaudissais des deux mains. Le spectacle était toujours
magnifique et j'en avais chaque fois pour mon argent imaginaire.
Nous redescendions
du petit grenier, couvertes de poussière de brique rouge et avec,
dans les cheveux, quelques toiles d'araignées qui, inévitablement
nous dénonçaient aux yeux inquisiteurs de notre grand-mère. Je ne
me sentais pas concernée par les remontrances qui suivaient notre
retour au rez-de-chaussée. Le spectacle valait les réprimandes et,
après tout, c'était quand même ma sœur qui se « faisait
attraper». Il est vrai qu'avec mes trois ans, on pouvait
difficilement me reprocher d'avoir gravi un escalier dans lequel il
avait fallu me hisser à la force du poignet.
Si nos montées au
grenier ne furent pas admises, notre réseau de résistantes en
herbe ne fut pas découvert en tant que tel ce qui nous fit échapper
à une arrestation musclée au grand soulagement de ma sœur qui
n'aurait probablement pas aimé m'entraîner dans sa chute.
L'arrivée des
Américains, leurs distributions de friandises et l'effervescence
qui s'ensuivit mirent fin à nos mini-spectacles. Danielle avait
trouvé un nouveau terrain pour briller : elle effectuait le
transport des chewing-gums à la cannelle et des plaquettes de
chocolat entre les Américains et notre famille.
Ce qu'elle n'alla
pas chanter sur tous les toits, ce qui fut une immense honte pour mes
grands-parents lorsqu'ils l'apprirent, c'est que, entraînée par son
amour immodéré pour les sardines (eh oui! Il n'y avait pas que le
chant pour meubler sa vie), elle se faufilait de temps à autre dans
la file des enfants nécessiteux pour obtenir une petite assiettée
de ces poissons huileux distribués une fois par semaine dans notre
quartier par un pasteur et sa femme. Autant j'aimais les
« chiclés » à la cannelle, autant les sardines
d'après-guerre faisaient ses délices. Là aussi, la répression
grand-parentale intervint.
Quaregnon, enfin,
put recommencer à vivre dans la paix, l'honneur et la reconstruction
de ses ruines.
*Une
broque : en patois borain, une pince à linge
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