Lorsque, abasourdie, je
constatai cette défection inattendue, dans un premier temps, je
restai coite, observant l'étendue liquide qui me séparait
maintenant de la plage. Oui, la mer traîtresse avait bien avancé et
les mains secourables s'étaient volatilisées. Crier n'aurait servi à
rien, j'avais compris que ni Guy ni ma sœur ne se retourneraient pour
venir me chercher. J'eus conscience du danger imminent et, prenant
mon courage à deux mains, je m'enfonçai peu à peu dans l'eau en
direction de la plage.
Là où, à l'aller, j'avais
eu de l'eau jusqu'à la taille, j'en avais maintenant jusqu'à la
poitrine et quelques trous d'eau restaient encore à passer. Il
fallut bien continuer et l'eau atteignait maintenant mon menton. Une
ou deux vagues m'étaient déjà passées par dessus la tête
provoquant de légères suffocations. Rien de grave en somme comparé
aux échecs quotidiens de mes châteaux de sable.
Des claques inattendues, assénées par les vagues arrières, me firent piquer du nez et perdre
pied durant quelques secondes. J'étais arrivée au premier trou
d'eau et, lorsque je repris ma stabilité, ma tête n'émergeait
plus.
Phénomène bizarre, la peur m'avait quittée. J'avais gardé
la notion du cap à maintenir et, les yeux grand ouverts sous l'eau,
je savais qu'il fallait avancer coûte que coûte. Le trou d'eau fut
franchi et j'avais pu garder ma respiration bloquée le temps de ce
passage dangereux. L'espoir d'être vue de la plage par mes parents
ou mes amis s'évanouit à la seconde même où je perdis pied dans
le trou d'eau suivant.
La
Mer du Nord a ceci d'intéressant que son sable gris constamment
remué par les marées montantes ou descendantes reste en permanence
en suspension dans l'eau en compagnie de milliers de petites algues,
bouts de bois, morceaux de coquillages cassés et autres œufs de
raies ou de roussettes. Lieu glauque mais porteur de découvertes
innombrables, l'eau m'apportait son lots d'éléments à observer et, à
aucun moment, je ne fermai les yeux devant toutes ces merveilles qui
dérivaient en flottant devant moi. La traversée fut donc sombre,
houleuse, froide mais en aucun cas inintéressante.
Après trois immersions totales, j'émergeai enfin d'une manière définitive et rejoignis la plage à petits pas tremblotants.
Je n'eus bien sûr pas le succès de la Vénus de Botticelli émergeant de la mer dans son grand coquillage nacré et, lorsqu'elle me vit arriver, les tresses raidies de sel au bout desquelles pendouillaient de lamentables rubans défaits par le flux et le reflux, ma mère se mit à hurler. Il ne manqua qu'une grosse algue dans les cheveux et un poisson dans la bouche pour l'achever.
Ses cris d'orfraie alertèrent l'ensemble des touristes se dorant au soleil autour d'elle.
Mon père, accouru dès les premières clameurs, m'observait hébété.
Une foule incrédule, plus effrayante et plus étouffante que la mer elle-même, faisait maintenant cercle autour de moi.
Il
fallut alors expliquer d'où j'arrivais et personne ne sembla me
croire. Que je sois revenue d'aussi loin en marchant sous
l'eau leur paraissait tellement invraisemblable ! Peut-être que si
j'avais eu plus de connaissances religieuses et avais raconté avoir
marché sur
l'eau m'auraient-ils tous cru. La crédulité sera toujours en
faveur des mêmes.
On ne m'avait pas cherchée
lorsque je fus en danger de noyade car les bavardages futiles avaient
avantageusement remplacé la surveillance utile chez les mères. Mon
père, lui, occupé à creuser son trou dans le sable pour y
construire une sorte de rotonde au niveau moins un où il pourrait
lire en toute tranquillité, était tout aussi à blâmer. Cependant,
aucun d'entre eux ne se jeta la première pierre.
Mais ceux qui
furent activement recherchés pour abandon d'enfant au milieu des
crevettes furent ma sœur et Guy. Bizarrement, ils avaient disparus
et les adultes eurent beau scruter l'horizon du nord au sud, ils
restèrent introuvables jusqu'à l'heure du repas et du retour à la
maison où les comptes se réglèrent avec plus de discrétion que
sur la plage.
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