Un
remède coupant
Avant de narrer l'anecdote, il faut situer le contexte.
Fin des années 40, mon père fit un séjour en Bulgarie d'où il revint gravement malade. Une pleurésie accompagnée d'une tuberculose changea le cours de son existence et celle de toute la famille par la même occasion.
Afin d'être soigné en sanatorium et dans un climat favorable à sa guérison, il prit la décision d'aller vivre en montagne avec ma mère et moi. A Briançon plus précisément.
Afin d'être soigné en sanatorium et dans un climat favorable à sa guérison, il prit la décision d'aller vivre en montagne avec ma mère et moi. A Briançon plus précisément.
Tandis que ma soeur, en âge d'école, restait à Quaregnon chez mes grands-parents, nous partîmes nous installer dans les Hautes-Alpes pour un an.
Ma mère et ma grand-mère, prétendaient, influencées par les traditions russes, qu'un mal de dent pouvait être tranché à sa base par un couteau placé sous l'oreiller avant l'heure du coucher.
Ma mère et ma grand-mère, prétendaient, influencées par les traditions russes, qu'un mal de dent pouvait être tranché à sa base par un couteau placé sous l'oreiller avant l'heure du coucher.
De
cette croyance, naquit une anecdote familiale assez amusante malgré
la colère qu'elle provoqua chez mon père.
A
Briançon, ma mère avait déniché un petit hôtel pas trop cher
mais très décentré par rapport à la ville : l'Hôtel des
Touches. Ce dernier était tenu par un couple russe et je soupçonne fort Tamara d'avoir fixé son choix sur cet établissement par rapport à la nationalité des propriétaires. C'est là que se situe notre histoire.
Situé aux confins de la ville, ce lieu était lugubre, froid et n'inspirait ni l'épanouissement des âmes ni le bonheur de vivre. Mais ma mère, tout à ses contacts «compatriotiques», semblait dans son
élément et tenait de longues conversations en russe avec l'un ou
l'autre des patrons et, malgré l'atmosphère sombre, des amitiés s'établissaient.
Quelques
semaines après notre installation, voilà mon père saisi par une
affreuse rage de dents. La journée passa sans amélioration, la
douleur monta de plus en plus. En début de soirée, le mal était devenu
intenable. Plaintes, gémissements, accablement, Tamara ne savait
plus où donner de la tête pour arrêter les souffrances de son époux.
La
nuit était tombée. De cet l'hôtel trop éloigné de la ville, sans aucun moyen
de transport, impossible, dans l'immédiat, d'avoir recours aux bons
soins d'un dentiste.
En
épouse dévouée, Tamara alla frapper à la porte des cuisines pour
demander de l'aide. Hélas ! pas d'aspirine, pas de clous de girofle,
rien pour soulager Franz! Sauf … sauf peut-être la vieille
recette russe du couteau glissé subrepticement sous l'oreiller. Le
conseil ne tomba pas dans l'oreille d'une sourde.
Ma
mère choisit donc un bon couteau de cuisine, bien pointu, bien
tranchant. Munie de ce tranchoir peu rassurant, elle remonta dans notre chambre et profita de l'effondrement de mon père pour glisser, en catimini, l'objet sous
l'oreiller . Ni vu, ni connu.
La
soirée terminée, nous nous couchâmes tous avec, au cœur, le
secret espoir d' un sommeil réparateur et même guérisseur.
Ouaip
! Et allez donc ! La comédie n'était pas terminée, nous arrivions
seulement au dernier acte.
Un
long cri de terreur fit se redresser toute la chambrée. C'était
mon père qui, ayant choisi de dormir sur le ventre, venait de
glisser un bras sous l'oreiller. La rencontre avec la pointe du
couteau l'avait glacé, la peur l'avait saisi à la gorge. Sous le
regard médusé de ma mère, il sauta hors du lit, lança son
oreiller sur le sol et empoigna le couteau malgré les tremblements
de sa main. D'une voix aussi blanche que l'arme, il cria que
l'on voulait l'assassiner.
Ma
mère, repentante, dut fournir toutes les explications demandées.
Non, il n'y avait pas eu de complot, non, personne ne désirait tuer son
époux, et surtout non, ce n'était pas une mauvaise blague. Tout
était parti d'une bonne intention : couper le mal à la racine, au
sens littéral des mots.
Mon
père, sa colère attisée par la peur qu'il avait subie, fut de
mauvaise humeur durant toute la journée qui suivit. Il démontra à
ma mère par A plus B que l'attitude de cette dernière était
irresponsable, immature, dénuée de tout bon sens. Qui pouvait
encore croire, au vingtième siècle, qu'un couteau glissé sous un
oreiller guérirait un problème dentaire ?
Tamara fit acte de contrition mais, plus tard, quand elle racontait la
scène, il y avait toujours dans sa voix un petit trémolo de rire insouciant.
Immature aurait dit mon père. Russe dirons-nous.
Quant
à la douleur elle-même, impossible de me souvenir si elle fut
soulagée par un dentiste ou si le choc nocturne provoqué par la
découverte du couteau fut assez puissant pour y mettre fin.
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