mercredi 14 janvier 2015

La Belle Brune dort (fin)


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J'essayai bien de faire comprendre que, ma foi, j'avais aussi quelques problèmes articulaires. Je me mis à émettre de petits gémissements plaintifs, tournai sur moi-même plusieurs fois, tentai de sautiller pour atteindre la table, rien n'y fit. Seule, une phrase humiliante me tomba dessus comme une douche froide : « Arrête de faire le clown, Némo, tu n'amuses que toi ! Ta copine va mal et tu fais l'idiot ! »
Ah, ça, cette méchanceté, elle me la copiera ! Et devoir entendre cela devant la vétérinaire en plus ! J'avais l'air de quoi pour finir ?
Et bien, tout simplement d'un clown qui a presque réussi son coup après tout car la belle masseuse m'a regardé et a dit : « Mais il est rigolo, ce petit chien, je suis persuadée qu'il ne refusera pas... »
Quoi ? Quoi ? Quoi ? Un petit massage ?
« … une petite croquette. »

De sa main tendue, elle m'offrit une croquette …. pour chat ! ! !
A peu de chose près, on faillit me soigner pour un infarctus foudroyant tant la déception fut violente.
Nous repartîmes ensuite, non en chantant et la fleur aux dents mais le cœur lourd et les idées noires.
Dès le lendemain, je réalisai pleinement que nos promenades allaient désormais suivre la courbe des systoles de la Belle Brune.
Alerté par la visite médicale de la veille, je remarquai enfin que ma compagne marchait à petits pas, la tête un peu basse comme si l'effort à faire la dépassait. Comment n'avais-je pu voir plus tôt qu'elle s'arrêtait de temps à autre, le regard perdu vers des horizons que je n'apercevais pas encore.
Finies les grandes échappées sauvages dans les vignes ou dans les taillis. Terminés les entraînements à la course pour savoir qui de nous deux arriverait premier ou première au poulailler du Mas des Carlines. Adieu aux montées échevelées parmi les genévriers pour suivre des odeurs alléchantes de gibier. Bien sûr, tout cela je pourrai toujours le faire mais où sera l'amusement si je dois le faire seul ? Je compris enfin le bonheur qui avait été le nôtre jusqu'à aujourd'hui et qui semblait s'éloigner dans une brume de souvenirs, à petits pas, à tout petits pas comme ceux de ma copine.
La mort venait d'avancer l'un de ses pions.

La mort ? A croire que c'est devenu un sujet de conversation privilégié lorsqu'elle téléphone à mon autre très chère copine, sa sœur.
Et patati et patata et inévitablement : « Oh ! Tu sais qui est mort ? »
Et c'est reparti...
Parfois même,  un petit rire mal contenu accompagne l'information. Incroyable, non ?
Elles feraient bien de ne pas trop se réjouir quand elles abordent ce sujet. Vu leur grand âge actuel, je ne voudrais pas jouer les Cassandre, mais elles doivent admettre qu'elles sont probablement dans leur dernière ligne droite, celle dans laquelle tout coureur chevronné tente une dernière accélération.
Mais quelle course espèrent-elles gagner maintenant ? L'idée ne leur vient-elle pas qu'elles sont en tête de gondole ?  
Mon conseil personnel ? Décélérez, mesdames, décélérez si vous ne voulez pas que l'on dise bientôt en vous regardant : « La petite vieille dort, la petite vieille dort, la petite vieille dort... »


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