jeudi 9 janvier 2020

Ils nous pourrissent nos dimanches...








Jusque là, ma randonnée de ce "DIMANCHE" avait été  bien agréable. 
Grâce à  un début d'hiver relativement doux, quelques oiseaux continuaient à chanter de-ci, de-là. Les fleurs les plus courageuses   agrémentaient encore les bords des sentes et le soleil caressait mes vieux os d'une tiédeur très amicale. 

 

A seize heures, les ombres longues des arbres, arbustes et futaies me firent savoir que le chemin du retour était à prendre sans plus s'attarder. 



C'est alors que ....

Bang  ! 


Un premier coup de fusil me fit sursauter. Tout attentive à ne pas me tromper  quant à la sente à suivre, je ne pus  le situer correctement. Était-il proche ou plus éloigné ? L'avais-je entendu sur la gauche, à l'arrière, à l'avant ? Impossible à dire. 
Je rappelai le chien afin qu'il reste plus près de moi. Avec son petit museau de renard, allez savoir si un stupide bigleux n'irait pas le confondre avec le joli rouquin !
Cette première détonation fut suivie à intervalles réguliers par d'autres. 
Bon, cette fois, c'était bien de la gauche que cela provenait... mais à quelle distance ?  
Où se situait le tueur ? Et comment prévenir de ma présence dans cette sente bordée d'arbustes  serrés ? 
C'est toujours dans cette situation que je réfléchis, mais un peu tard, et me dis que, lors d'une prochaine sortie, il serait prudent d'emporter la vieille clarine savoyarde qui sert de décoration dans ma bibliothèque.

Ni clarine dans mon sac à dos, ni clochette au collier du chien, ne restait qu'une solution : faire du bruit, siffler, parler, chanter pour signaler ma position durant le reste de la rando.
     "Aller siffler, siffler, la-haut sur la colline
     D'églantine point 
     Et j'ai sifflé tant que j'ai pu..." 
Tout cela est bel et bon mais siffler n'a qu'un temps. Vient le moment où votre bouche asséchée n'arrive plus à produire suffisamment de salive pour continuer à concurrencer la gent ailée. Aaarghl ! En fait, le sinistre "shuiiiit" qu'émet encore la cavité buccale pourrait être confondu avec un sifflement reptilien. Méfiance !  Couleuvres, vipères... elles aussi sont les mal aimées des Gargamel de la forêt.
Donc, changement de registre et va pour le chant. Un sanglier chantant la Marseillaise ou l'Internationale, c'est plutôt rare. 
Mais les cordes vocales aussi se fatiguent si elles sont mal entraînées.

Bang ! Bang ! 

"Parle ! Parle ! Vas-tu parler oui ou non ? Et avouer ton infamie ? Que fais-tu dans les bois alors que le soleil baisse de plus en plus ?"
Et je me mis à parler bien fort, racontant tout et n'importe quoi. J'aurais décris mon premier libertinage, ma première menterie, le vol d'un catéchisme... pour échapper aux plombs ou aux  balles qui devaient strier la forêt non loin de nous.


Bang !

Le chien avait dû sentir le stress ambiant, il ne s'éloignait plus, se retournant régulièrement, un gros point d'interrogation dans le regard. Mes divagations devaient l'étonner. Avec qui pouvais-je parler alors qu'il ne voyait personne dans les parages.
Son regard  me fit comprendre le danger de ce bavardage intempestif. L'internement n'était peut-être plus très loin si je rencontrais un quelconque garde forestier au prochain tournant.









Et cette sente qui n'en finissait pas de dévaler la colline ! Longue, longue, longue comme un jour sans pain. J'avais dû prendre une mauvaise bifurcation ! 


Quelques minutes auparavant, lorsque j'étais passée sous un vieil arbre abattu, il m'avait bien semblé entendre son murmure réprobateur : "Anne, tu te trompes de sente, tu devais prendre celle qui partait vers la gauche ! Écoute-moi, rebrousse chemin, il n'est pas trop tard !" 
Non, en toute franchise, si je devais remonter cette sente que je descendais depuis dix minutes, je préférais me coucher là, sur la mousse, et attendre ma fin. 
Paresse quand tu nous tiens ! Ou pas... Je continuai donc vers Dieu sait quel ravin, quel gouffre, quelle doline inconnue.

Et maintenant, une certitude m'avait gagnée : je descendais en enfer. C'était certain, j'allais arriver à un diabolique rendez-vous. Ce que j'entendais, ce n'était plus les coup de carabine, c'était les ricanements du malin !

Bang ! Bang !
Une véritable Saint-Barthélemy du cochon sauvage !
Ce n'était pas possible ! Il y avait un enragé dans les collines et ce n'était ni un sanglier ni un renard ni un loup... 
 

Mais tout arrive à qui peut attendre et garde un fifrelin d'espoir! 
Une lumineuse trouée éclaira  la fin de la sente et nous envoya les rayons salvateurs du soleil couchant. 

Le chien et moi débouchâmes enfin non loin de notre point de départ. Malgré les tirs qui continuaient au loin, ce ne serait pas encore cette fois que l'on viendrait ramasser nos pauvres corps explosés.


Lorsque, enfin, j'aperçus le plateau de Saint-Amand dans le   rougeoiement vespéral, ce fut un gros soupir de soulagement qui s'échappa de mes lèvres.








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