lundi 18 janvier 2021

Le pendule de mon grand-père et le mouchoir de ma grand-mère...

 

 

 

 

 

 

 

     Influencé par son ami «le Grand Ernest», coiffeur du quartier de Wasmuel à Quaregnon (juste pour situer), mon grand-père, dès son retour de Russie, devint rapidement accro à la radiesthésie.

     On pourrait se poser une question : «comment un chimiste de formation put-il tomber dans cette forme d’analyse d'éléments à l’aide d’un pendule, outil de ce que certains nomment une pseudoscience ?»


     Durant de longues années et jusqu’à sa mort, j’ai connu mon aïeul ayant quasi en permanence un pendule à portée de main. Que Gaston ait été à la maison ou en sortie, le pendule, fidèle compagnon, l’accompagnait. Honnêtement, en ville, je ne sais quand il s’en servait… avec les amis ou connaissances rencontrés en rue j'imagine.

     A la maison, c’était à l’heure des repas que le pendule faisait son  apparition au suprême énervement de ma grand-mère. Malgré une énorme dose de bonne volonté et de compréhension vis à vis des phobies de son époux, Alexandra ne parvint jamais à accorder une entière confiance à ce petit balancier.

   


  Du potage au dessert, chaque plat était scruté  et au final passé au crible de la radiesthésie. Même la gamelle des chiens était analysée si besoin était car, en ces années bénies de non consommation, point de croquettes. Seuls, les restes des repas  destinés à nourrir les poilus de la famille  méritaient donc un test.

     Alors que mon grand-père, selon les habitudes du couple, faisait lui-même tous les achats concernant la nourriture quotidienne, cette manie du pendule, vexatoire il faut le dire, ressurgissait trois fois par jour : déjeuner, dîner, souper.

     Suivant que la petite pyramide en cuivre tournât comme un derviche ou effectuât une oscillation latérale, la nourriture était jugée saine ou présentant un problème. Et plus certains mouvements pendulaires étaient amples, plus la méfiance s’installait dans l’esprit de l’ancien chimiste.

     Parfois ma grand-mère, exaspérée, lui disait : «Gaston, c’est ta main qui tourne. C’est toi qui donne le mouvement au pendule !»  Petite agression verbale qui pimentait le quotidien du couple après septante ans de vie commune. Mais c’était la réflexion qui tuait et qui était loin de plaire à son époux. Il se rebiffait aussitôt, niant toute influence de la main porteuse.

     Il faut reconnaître que, dans les années 70, l’âge avancé de cette main lui avait, en grande partie, ôté la stabilité de la jeunesse et qu’il était donc devenu difficile de lui accorder crédit. C’était bien souvent elle qui tremblotait, faisant tourner le pendule. Cela, Gaston ne l’admit jamais.


     De temps à autre, lorsque j’entrais dans son bureau, je trouvais mon grand-père penché sur une série de fioles contenant des produits chimiques, occupé à doser des mélanges énigmatiques qui, après finition, étaient soumis au test du pendule. Ce dernier aidait alors Gaston à confirmer ou infirmer la réussite de la recherche entreprise.

     Que devenaient ces préparations par la suite et à qui étaient-elles destinées ? Je n’en ai jamais rien su…. Pure supposition de ma part, elles devaient être offertes à des amis ou connaissances souffrant de rhumes, de démangeaisons saisonnières ou autres mini-maladies.

     Certains diront "grâce à l’aide de son pendule",  d'autres diront "grâce à l’aide de Dieu", Gaston ne tua jamais aucun citoyen de la ville. Dans le cas contraire, nous en aurions probablement entendu parler.


     Heureux Gaston qui s’employa jusqu’à la fin de sa vie, avec un sérieux incroyable, à sauver les habitants de sa rue ou de son quartier des miasmes traînant toujours dans nos régions anciennement marécageuses.

 


     Ma grand-mère pouvait bien être moqueuse vis-à-vis des manies de son mari elle qui, dès mon plus jeune âge, m’apprit à nouer un mouchoir autour d’un pied de table et, en même temps, à prier Saint Antoine… pour retrouver un objet égaré. 

 

     Accepter le balancement d’un pendule au-dessus de ses purées, carottes ou côtelettes, NON ! Le mouchoir au pied de table, OUI ! 

 

     Faut-il le dire, j’ai toujours adoré passer mes vacances chez mes grands-parents…


     Dans leur couple, Gaston le Chimiste, sous ses airs austères et bougons, resta capable de rêver aux merveilleux progrès que la radiesthésie ferait accomplir à l’humanité lorsque les yeux des incroyants seraient dessillés tandis qu’Alexandra, poétesse de cœur, fit preuve d’un «pragmatisme» religieux tout aussi incroyable.

     Personne n’avait encore dit : «C’est un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour l’humanité»


     A l’heure actuelle, toutes ces techniques longuement réfléchies et expérimentées par mes grands-parents sont perdues pour les générations qui me succèdent. Qui pourrait encore nouer un mouchoir en papier à un pied de table ou qui oserait, dans une grande surface, analyser un morceau de poisson, un saucisson ou un oignon à l’aide de son pendule ?

 

 

 

 

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