Les
champignons de mon père
Dès
l'arrivée de l'automne, les champignons des bois se trouvaient au
menu. Mon père, grand amateur de ces pieds chapeautés, écumait
alors tous les bois de notre région. Parfois seul, parfois en
compagnie d'amis mycologues. A son retour, s'étalaient sur la table
de la cuisine, un jour de grandes lépiotes ou des bolets, le
lendemain des coprins, des lactaires ou des chanterelles. Ses
apports à la cuisine maternelle étaient non exhaustifs mais..... ma
mère, toujours méfiante, attendait que son époux lui ait prouvé
par A plus B l'innocuité de la récolte du jour. Elle acceptait
alors de les lui cuisiner mais, à ma soeur comme à moi, nous interdisait souvent d'y toucher.
C'est ainsi que nous dûmes attendre l'âge adulte pour
prendre la relève paternelle et, aidées par les livres que Franz
nous avait légués, pour découvrir enfin les délices de certaines
espèces.
Attention
! Notre père n'était pas un dangereux inconscient dans ce domaine
et, en mycologue averti, lorsqu'il n'était pas certain des trésors
rapportés, il s'enfermait dans son bureau, sortait ses fioles de
produits chimiques, ses pipettes, son microscope et entamait des
recherches dont les résultats étaient soigneusement notés pour
être discutés plus tard entre amis.
Un
soir, l'arpenteur des forêts apporta une magnifique quantité de
pieds bleus. Alertée par la couleur, ma mère leur jeta un regard
méfiant et devint très réticente quant à la cuisson de cette
récolte. Sur les instances de mon père, elle les prépara malgré
tout. Cependant, lorsqu'elle vit son mari dresser la table et y
placer une assiette pour chaque membre de la famille, son sang ne fit
qu'un tour. Il était hors de question que ses filles ingurgitent des
champignons bleus qui ne pouvaient être que toxiques sinon mortels.
Malgré les affirmations de mon père quant à la qualité de cette
nouvelle variété, elle resta sur ses positions.
Ce
soir-là, installées autour de la table, ma sœur et moi n'eûmes
donc droit qu'à la vue d'un père séditieux se régalant de sa
cueillette sous les regards remplis d'opprobre d'une mère soucieuse
de la survie de ses enfants. Peut-être ses pensées allèrent-elles
aux vêtements de deuil qu'elle devrait porter si le repas vespéral
tournait mal. Qui peut savoir ?
Il
arrivait que notre récoltant fasse un peu trop confiance à
l'intelligence humaine : un printemps, lors d'une fructueuse
cueillette de morilles, il voulut faire plaisir à des voisins.
Charles à Sabots et sa femme nous rendaient parfois de petits
services et mon père trouva normal, ce jour-là, de leur offrir
une partie de sa cueillette. A toutes fins utiles, il leur expliqua
que la morille est, malgré sa saveur délicieuse, un champignon qui
peut causer des problèmes s'il n'est pas blanchi quelques minutes
avant cuisson au beurre et s'il est mangé en trop grande quantité.
Ensuite, mon père, heureux d'avoir pu rendre un plaisir pour un
autre, se désintéressa du don et retourna à ses études de grec et
de latin.
Il
avait présumé du self-contrôle de notre voisine qui, gourmande
comme une chatte, ne tint aucun compte des conseils culinaires et
avala la presque totalité du cadeau forestier, n'en laissant que
juste de quoi en faire connaître le goût à son mari plus
raisonnable.
La
nuit suivante fut terrible pour la pécheresse qui faillit trépasser
sous les effets des rejets stomacaux comme intestinaux. Après cet
incident, un grand froid s'installa entre Charles à Sabots, sa femme
et notre famille d'empoisonneurs insoupçonnés. Essayez de faire
plaisir à des voisins ignares !
Que c'est bien! J'attends une suite avec impatience.
RépondreSupprimerMerci pour votre appréciation (bon, je ne me renouvelle pas vraiment dans mes remerciements) car cela fait toujours plaisir.
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