«Merci,
monsieur»
Enfants,
l'un de nos grands amusements, quand nous avions quelques minutes à
perdre, consistait à demander l'heure à ma grand-mère.
Ma sœur et moi
savions pertinemment bien qu'elle ne possédait pas de montre.
D'ailleurs, qui en avait dans cette maison ? Il devait bien y avoir
une horloge dans la cuisine ou dans la salle à manger mais je n'en
garde aucun souvenir.
L'une d'entre nous
disait donc : «Mimi, quelle heure est-il ?» Et, invariablement,
elle répondait : «Je ne sais pas, mon petit chou».
Bien, elle ne
savait pas, nous nous en doutions. Alors, confites d'hypocrisie
enfantine, nous lui suggérions aimablement de demander l'heure à
l'horloge parlante. Et notre attente commençait dans un grand rire
intérieur.
Mimi décrochait le
combiné téléphonique en bakélite noire, formait le numéro ad hoc
et écoutait avec attention : «Au troisième top, il sera
exactement seize heures trente-cinq minutes et vingt secondes», un
petit silence puis «top ! Top ! Top !»
Ma grand-mère, de sa voix la
plus polie disait alors : «Merci, Monsieur». Ensuite, elle
raccrochait, se tournait vers nous et nous renseignait : «Il est
seize heures trente-cinq mes petits choux».
A-t-elle jamais
compris pourquoi l'énoncé de l'heure exacte nous faisait tellement
rire ? Je pense que oui et
je crois même qu'elle avait découvert notre stratagème coquin dès
le début. Dans sa grande bonté , dans son immense amour pour nous,
elle jouait et rejouait le jeu à chacune de nos demandes afin de
voir rire ses petites-filles de si bon cœur et à si peu de frais.
Sa méconnaissance des nouvelles technologies ne pouvait être telle
et nous étions de fameuses gourdes de le croire.
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