Depuis
quatre ou cinq ans, le Ministère de l'Éducation Nationale nous
avait embranchés sur les rails de la mathématique moderne.
Comme
d'habitude, de nombreux enseignants n'avaient pas reçu la
formation adéquate et certains pataugèrent lamentablement au grand
détriment des élèves (la formation
dans l'enseignement a toujours été un immense trou
noir dans lequel disparaissent les espoirs des plus naïfs).
Pour
ma part, j'eus l'immense chance d'avoir un collègue qui, dès
l'arrivée des directives, se lança dans l'étude de cette nouvelle
vision de la mathématique. Il y consacra toutes ses vacances d'été
durant six ans, peaufina un cours adapté à chaque âge de l'école
primaire et arriva ainsi, montant chaque année avec sa classe, à
préparer le terrain pour tous ses collègues. Un vrai travail de
forçat !
Voilà
donc la situation en place.
L'année
de l'anecdote qui va suivre, j'avais été désignée comme titulaire
en deuxième primaire.
Grâce
à mon valeureux collègue, je pris très vite goût à la
mathématique moderne mais …. je n'en possédais pas encore tous
les arcanes, loin s'en faut.
Ce
matin-là, je m'étais lancée dans un jeu (assez attrayant à mon
avis) qui aidait à découvrir la base 2 tout en fixant les
tables de multiplication.
Bien
entendu, en dehors du système qui consistait à entourer deux pions
pour les remplacer par un plus gros, je pouvais difficilement
expliquer à des enfants de sept ans le but final des bases en général. Dans un
premier temps, il suffisait d'aller le plus loin possible dans la
formation des paquets puis de revenir au nombre de départ en
utilisant le tableau binaire . Un jeu donc et rien d'autre.
La
plupart des enfants mordirent immédiatement à ce jeu et, sans se
poser de questions, effectuèrent les allers-retours en s'amusant.
La
plupart … mais pas tous !
Alors
que je tournais le dos à la classe pour écrire un nouvel exercice
au tableau, une voix s'éleva derrière moi. Vous savez, cette
petite voix emplie de pertinence qui pose la question qui tue ou vous
glace le sang.
L'enfant
voulait connaître la finalité de l'exercice et la raison du
regroupement des pions. Où tout cela allait-il nous mener, en
définitive ?
Je
me retournai, lui fis face et lui répondis qu'il y avait bien une
raison à cet exercice mais qu'il m'était impossible de tout lui
expliquer car ma réponse serait trop difficile à comprendre. Que,
quand il serait plus âgé, il aurait accès à une réponse plus
complète.
Le
garçonnet me dévisagea. Une expression désabusée sur le visage,
il rétorqua : « Oui, comme dit Bossuet, le tout c'est d'y
croire ! »
Ma
main ne lâcha pas la craie mais ce fut bien le
miracle de cette matinée !
Juste un petit souvenir |
Quoi qu'on ait pu en dire par la suite, la mathématique moderne fut une excellente méthode qui faisait bien plus appel à l'intelligence et à la créativité des élèves qu'à leur passivité.
Mais, pour qu'elle soit bien appliquée, il aurait fallu de nombreuses heures de formation OFFERTES aux enseignants, ce qui ne fut pas le cas.
Je garde le souvenir amer, en ce qui concerne la mathématique, d'avoir dû payer mes formations de mes propres deniers !
ET, le pire souvenir ..... Lors d'une préparation des tests de fin d'année pour le cycle moyen de toute une circonscription, l'inspectrice qui supervisait cette préparation exigea l'utilisation de la mathématique moderne pour la géométrie. Je me permis de lui faire remarquer que tous les enseignants n'avaient pas utilisé cette méthode avec leurs élèves. La réponse tomba, cinglante et cruelle : "Tant pis pour eux !"
Tant pis pour qui ? Pour les enseignants ou pour les enfants ?
La réplique ne situa pas cette inspectrice à la même hauteur que l' "Aigle de Meaux".
La réplique ne situa pas cette inspectrice à la même hauteur que l' "Aigle de Meaux".
Je me demande ce qu'en aurait pensé ce denier ...
Bravo Anne, la résistante;)
RépondreSupprimerMerci, Dany
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