samedi 22 juin 2013

Souvenirs d'enfance (10) Cours de latin (2ème partie)

 

 

Cours de latin  (2ème partie)

Un peu avant Pâques, la fatigue de fin de trimestre fit naître dans la classe une sorte d' engourdissement, une espèce de mollesse très contagieuse. Le soleil printanier illuminait, ce jour-là, les murs, les bancs et les livres. La réverbération des rayons sur les pages blanches de mon cahier de brouillon m'empêchait de garder les yeux bien ouverts et j'avais commencé à somnoler. Le nominatif et le génitif, se confondaient allègrement dans les brumes de mon cerveau quand, brusquement, une déglutition monstrueuse se fit entendre à mes côtés. Revenue à la réalité, je me tournai vers ma compagne, une petite dodue toujours joviale. En toute franchise, joviale, elle ne l'était plus du tout. La respiration difficile, les yeux exorbités, elle parvint à me souffler d'une voix rauque : «J'ai... avalé... le capuchon... de mon bic...» Et la-dessus, elle se remit à suffoquer.
 
Affolée à l'idée de voir mon amie mourir à côté de moi, je me dressai brusquement pour appeler au secours.
 --  Monsieur, Monsieur …

 -- Tais-toi «Mort aux ânes», je ne t'ai pas interrogée.

 -- Mais, Monsieur, c'est Isabelle qui...

 -- Quoi Isabelle ? Elle a enfin trouvé une réponse ? Ce serait miraculeux !

 -- Non, elle a avalé le capuchon de son biiiic...

 

Le flegme habituel de notre professeur fit place à un affolement non feint. Monsieur M... traversa la classe à toute vitesse, se planta face à Isabelle pour évaluer la situation et devant les yeux toujours exorbités de mon amie, il se rendit enfin utile en lui assénant une grande claque dans le dos. Une nouvelle déglutition tout aussi effrayante que la première se fit entendre; les yeux d'Isabelle reprirent un aspect presque normal quoique très larmoyants; son teint, peu à peu, retrouva sa jolie couleur rose porcelaine et sa respiration redevint normale. 
 
 -- Comment as-tu pu avaler le capuchon de ton bic ? s'écria Monsieur M...
 -- J'ai été distraite...
 -- Distraite ? Mais comment est-il ce capuchon ?
 -- Avec une tige pour l'accrocher à la poche.
 -- Quoi ? Mais comment as-tu pu avaler cela ?
 -- Je l'avais mis en bouche et je le suçais.
 -- Tu le suçais ? Et comme d'habitude, tu ne réfléchissais pas !
 -- Non, Monsieur... 
Il n'aurait pas été nécessaire qu'elle formulât son «Non, Monsieur» notre pauvre Isabelle tant il était vrai qu'elle ne réfléchissait pas souvent. Plus d'une fois, elle m'avait dit ne pas aimer le latin, incapable de comprendre à quoi pouvait bien servir cette langue de barbares. Toute la journée, elle attendait la fin d'un cours et la sonnerie de quatre heures pour pouvoir rentrer chez elle, dans cette ferme qu'elle aimait tant et où l'attendait une bonne vache et des poules qui, n'étaient pas inutiles. Du lait frais et des œufs, valaient bien n'importe quel cours de latin même s'il avait pu être dispensé par le meilleur des professeurs. Et pour nous, c'était loin d'être le cas.
Lorsque le calme fut revenu en classe, Monsieur M..., désireux de reprendre la traduction de la version en cours, retourna à son bureau après avoir prédit   les pires suites imaginables : la nécessité de passer une radio de l'estomac ou que sais-je encore ?
Je demandai alors à voix basse :
-- Avec sa pointe, comment tu vas t'y prendre pour le faire ressortir ce capuchon ? 
Isabelle réfléchit, ne trouva évidemment aucune réponse, mais demanda quand même: 
-- Tu crois que ça va faire mal ? »
-- Ben... Je ne sais pas, peut-être qu'il va rester coincé dans un tournant des intestins. Ou peut-être qu'il va finir par fondre ?
-- S'il ressort entier et que ma mère voit ça, qu'est-ce que je vais prendre ! 
 
Nous nous arrêtâmes de parler pour mieux imaginer la situation chacune de notre côté. La tension qui nous tenait à la gorge depuis le début de l'incident se transforma en   un traître fou-rire. Nous dûmes enfouir nos visages entre nos bras pour tenter de calmer les hoquets de joie qui nous submergeaient. Dieu merci, la sonnerie de fin de cours résonna avant qu'une punition nous fut donnée.
 
Ce jour-là, le cours de latin ne nous avait pas apporté beaucoup de nouvelles connaissances mais quelle rigolade grâce à un capuchon qui n'avait jamais servi qu'à tenir enfermées les fautes de ma compagne et qui, maintenant, avait entrepris une sombre exploration de zones plus profondes et inconnues de son corps grassouillet !

                                                                                                      à suivre




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