Cours de latin (2ème partie)
Un
peu avant Pâques, la fatigue de fin de trimestre fit naître dans
la classe une sorte d' engourdissement, une espèce de mollesse très
contagieuse. Le soleil printanier illuminait, ce jour-là, les
murs, les bancs et les livres. La réverbération des rayons sur les
pages blanches de mon cahier de brouillon m'empêchait de garder les
yeux bien ouverts et j'avais commencé à somnoler. Le nominatif et
le génitif, se confondaient allègrement dans les brumes de mon
cerveau quand, brusquement, une déglutition monstrueuse se fit
entendre à mes côtés. Revenue à la réalité, je me tournai vers
ma compagne, une petite dodue toujours joviale. En toute
franchise, joviale, elle ne l'était plus du tout. La respiration
difficile, les yeux exorbités, elle parvint à me souffler d'une
voix rauque : «J'ai... avalé... le capuchon... de mon bic...» Et
la-dessus, elle se remit à suffoquer.
Affolée
à l'idée de voir mon amie mourir à côté de moi, je me dressai
brusquement pour appeler au secours.
-- Monsieur,
Monsieur …
-- Tais-toi «Mort
aux ânes», je ne t'ai pas interrogée.
-- Mais, Monsieur,
c'est Isabelle qui...
-- Quoi Isabelle ?
Elle a enfin trouvé une réponse ? Ce serait miraculeux !
-- Non, elle a avalé le capuchon de son biiiic...
Le
flegme habituel de notre professeur fit place à un affolement non
feint. Monsieur M... traversa la classe à toute vitesse, se
planta face à Isabelle pour évaluer la situation et devant les yeux
toujours exorbités de mon amie, il se rendit enfin utile en lui
assénant une grande claque dans le dos. Une nouvelle déglutition
tout aussi effrayante que la première se fit entendre; les yeux
d'Isabelle reprirent un aspect presque normal quoique très larmoyants; son
teint, peu à peu, retrouva sa jolie couleur rose porcelaine et sa
respiration redevint normale.
-- Comment
as-tu pu avaler le capuchon de ton bic ? s'écria Monsieur M...
-- J'ai été
distraite... -- Distraite ? Mais
comment est-il ce capuchon ?
-- Avec une tige pour
l'accrocher à la poche.
-- Quoi ? Mais comment as-tu pu avaler cela ?
-- Je l'avais mis en bouche et je le suçais.
-- Quoi ? Mais comment as-tu pu avaler cela ?
-- Je l'avais mis en bouche et je le suçais.
-- Tu le suçais ?
Et comme d'habitude, tu ne réfléchissais pas !
-- Non, Monsieur...
Il
n'aurait pas été nécessaire qu'elle formulât son «Non, Monsieur»
notre pauvre Isabelle tant il était vrai qu'elle ne réfléchissait
pas souvent. Plus d'une fois, elle m'avait dit ne pas aimer le
latin, incapable de comprendre à quoi pouvait bien servir cette
langue de barbares. Toute la journée, elle attendait la fin d'un
cours et la sonnerie de quatre heures
pour pouvoir rentrer chez elle, dans cette ferme qu'elle aimait tant
et où l'attendait une bonne vache et des poules qui, n'étaient pas
inutiles. Du lait frais et des œufs, valaient bien n'importe quel
cours de latin même s'il avait pu être dispensé par le meilleur
des professeurs. Et pour nous, c'était loin d'être le cas.
Lorsque
le calme fut revenu en classe, Monsieur M..., désireux de reprendre la
traduction de la version en cours, retourna à son bureau après
avoir prédit les
pires suites imaginables : la nécessité de passer une radio de
l'estomac ou que sais-je encore ?
Je
demandai alors à voix basse :
-- Avec
sa pointe, comment tu vas t'y prendre pour le faire ressortir ce
capuchon ?
Isabelle
réfléchit, ne trouva évidemment aucune réponse, mais demanda
quand même:
-- Tu
crois que ça va faire mal ? »
-- Ben... Je ne sais pas, peut-être qu'il va rester coincé dans un
tournant des intestins. Ou peut-être qu'il va finir par fondre ?
-- S'il ressort
entier et que ma mère voit ça, qu'est-ce que je vais prendre ! Nous
nous arrêtâmes de parler pour mieux imaginer la situation chacune
de notre côté. La tension qui nous tenait à la gorge depuis le
début de l'incident se transforma en un traître
fou-rire. Nous dûmes enfouir nos visages entre nos
bras pour tenter de calmer les hoquets de joie qui nous
submergeaient. Dieu merci, la sonnerie de fin de cours résonna avant
qu'une punition nous fut donnée.
Ce
jour-là, le cours de latin ne nous avait pas apporté beaucoup de
nouvelles connaissances mais quelle rigolade grâce à un capuchon
qui n'avait jamais servi qu'à tenir enfermées les fautes de ma
compagne et qui, maintenant, avait entrepris une sombre exploration
de zones plus profondes et inconnues de son corps grassouillet !
à suivre
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