Cours de latin (3ème partie)
En
cinquième latine, nous eûmes un nouveau professeur de latin :
Mademoiselle Mz ....
Cette
demoiselle au visage ingrat, à la voix de stentor, à la poitrine "panzer" avait bien plus de qualités que son physique ne le
laissait présager : un grand amour de
l'adolescence, un désir profond de relever le niveau des classes,
la certitude que l'enseignement du latin pouvait sauver le monde. En somme, un coeur "gros comme ça", prêt à s'offrir à tout un
chacun qui lui rendrait ses sourires.
Lorsqu'elle
eut fait notre connaissance, elle dut vite se rendre compte que, dans
cette classe, il y aurait bien plus de travail que prévu. Ce ne
serait pas le parachèvement du bâtiment-connaissances qui
l'attendait mais bien la stabilisation de fondations branlantes
laissées en friche par son prédécesseur.
Qu'à
cela ne tienne, elle retroussa les manches sur des biscoteaux de fort
des halles et entreprit notre sauvetage à grands renforts de coups
de gueule musclés, de tendresse débordante et de leçons nettement
mieux expliquées que celles de l'année précédente. Nous
l'aimâmes même si la tricherie avait été expulsée de nos
comportements au Kärcher et si les leçons non étudiées étaient
sévèrement réprimées par des contrôles imprévus.
Après
quelques semaines de vie commune, un seul point noir vint perturber
notre bonne entente : notre directrice, confrontée à la difficulté
des horaires à établir, ne trouva pas d'autre solution que de
placer l'une de nos heures de latin après quatre heures. Ainsi,
alors que le grand corps scolaire allait se vider de ses entrailles
humaines dans les cris et les rires, la cinquième latine devrait
rester en classe pour scander, traduire ou décliner. Le coup fut rude mais il fallut l'accepter, aucune
réclamation n'ayant été perçue par
des oreilles directoriales particulièrement sourdes à
nos appels.
Il
faut savoir que notre école moyenne, située le long du canal
Mons-Condé et adossée à d'anciens terrils reboisés, était formée
de baraquements d'après-guerre.
Restaurés pour servir d'école à toute
une jeunesse peu concernée par l'aspect esthétique du site, leurs
classes étaient trop chaudes en été, trop froides en hiver; elles possédaient cependant une caractéristique
intéressante : deux portes intérieures à chacune de leurs
extrémités. On pouvait donc y entrer soit par la gauche, soit par
la droite. Entre elles, de petits couloirs le long desquels
couraient les porte-manteaux. Ainsi, quatre classes se suivaient
sans discontinuer et l'on pouvait, en toute facilité, aller d'un
lieu au suivant sans être obligé de repasser par l'extérieur.
Cette
disposition particulière nous permit de concocter une petite
vengeance amusante dirigée contre notre
horaire peu agréable. Nous décidâmes de nous volatiliser. Toute
une classe qui disparaît, cela n'est
pas courant. Mademoiselle Mz... allait être bien étonnée lors de
son cours de fin d'après-midi.
A la vue de tous, pour
rejoindre notre classe, elle devait traverser la grande cour de récréation en diagonale. Il nous était donc impossible de
rater son passage. Elle aussi, dans un premier temps, devait nous
voir; c'est pourquoi, lors de son arrivée, une vingtaine de
têtes s'agitèrent près des fenêtres donnant sur la cour.
Lorsque
notre professeur fut à mi-chemin, comme un
seul homme, nous nous abaissâmes toutes; un grand silence
s'établit et nous partîmes à quatre pattes rejoindre le couloir
intermédiaire pour nous faufiler dans la classe suivante.
Nous entendîmes alors l'entrée fracassante de Mademoiselle
Mz... et ses questions tonitruantes qui firent vibrer les murs de
notre classe vide : "Où êtes-vous, mais où êtes-vous donc ?"
Toujours courbées mais plus rapidement encore,
nous atteignîmes la troisième puis la quatrième classe. Les
portes que nous refermions avec délicatesse étaient rouvertes avec
fracas par notre poursuivante qui perdait un temps précieux à
vérifier, à chaque traversée de couloir, si nous n'étions pas
parties sur la cour.
La
quatrième classe arrêta notre progression. Plus moyen
d'avancer. Comment réagir pour ne pas nous faire reprendre? L'une
d'entre nous eut une idée de génie : passer du côté des terrils
en escaladant les fenêtre extérieures. Sitôt
trouvée, l'idée fut appliquée. Les
fenêtres franchies, les vingt transfuges, suivant le chemin
inverse, rejoignirent leur classe, courbées parmi les
mauvaises herbes, les orties et les chardons. La
manoeuvre réussit à merveille. Hop,
nouveau passage par les fenêtres .
Chacune à sa place, le regard placide malgré le souffle
court, nous attendîmes le retour de notre poursuivante qui n'allait
peut-être pas apprécier notre exploit à sa juste valeur. A son
approche, malgré les portes qui claquaient de nouveau, nous
ajustâmes nos plus tendres sourires. Et ce qui devait arriver
arriva. Face à notre air innocent, elle craqua et se mit à
rire dans un barrissement décoiffant. Elle avait apprécié la
blague mais, point trop n'en fallait, nous ne devions plus
recommencer. La menace, à peine voilée d'une grande gentillesse, fut entendue et les leçons suivantes
nous virent toujours à notre place, prêtes, une fois par semaine, à
sacrifier notre fin d'après-midi dans les bras de la langue latine.
à suivre
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