mercredi 18 septembre 2013

L'APOCALYPSE SELON L'OUVEZE


Un livre à connaître
« L'APOCALYPSE SELON L'OUVEZE »





22 septembre 1992...

Bien sûr, à l'époque, tout le monde en avait entendu parler. L'information concernant cette catastrophe avait fait le tour du monde en quelques minutes : suite à de fortes pluies, une petite rivière provençale était sortie de son lit, avait grossi au fil des heures pour devenir un monstre rugissant et, finalement, s'était transformée en une vague monstrueuse qui avait tout détruit sur son passage.
Des photos à sensation avaient été publiées dans nombre d'hebdomadaires et les journaux télévisés avaient relayé l'évolution de la situation d'heure en heure et ensuite …
...Et ensuite le monde était retourné à ses occupations habituelles sans plus se soucier de cette vague de boue mais surtout de souffrances qui avait déferlé sur Vaison-la-Romaine. Oui, le monde avait continué d'avancer vers son futur d'autodestruction généralisée sans plus s'occuper de cette destruction locale. Les journalistes avaient obtenu les images chocs pour faire la « une » durant quelques jours. Dans la boîte ? O.K. En première page ? O.K. On pouvait passer à autre chose.

Quand vous parlez maintenant avec les personnes qui ont connu ce drame vous vous rendez compte que, contrairement au reste du monde, ici, personne n'a oublié cette apocalypse qui, il y a vingt et un ans, a déferlé sur la ville, réduisant à néant des familles, des dizaines de vies, tout autant d'habitations, et des milliers d'espoirs. Chacun vous narre un détail émouvant : ici, c'était l'eau qui ressortait en geyser par les fenêtres des étages, là, c'était une vieille dame dont le balcon avait été arraché et qui, sans admettre sa défaite, tentait de refouler l'eau de son domicile à l'aide d'une raclette dérisoire; plus loin, sur tel parking, on avait vu les autos se soulever, se mettre à flotter puis être emportées à la dérive dans ce fleuve de boue déchaîné; dans tel quartier, c'était des familles accrochées au toit de leur maison et qui avaient attendu, des heures durant, que les premiers secours puissent arriver jusqu'à elles; et plus en amont, oui, il y avait bien eu ces campings et leurs derniers vacanciers qui furent emportés comme fétus de paille...
C'est à mi-mots et d'une voix plus basse que l'on évoque ces « sans domicile fixe » ou ces travailleurs saisonniers dispersés dans les campagnes environnantes qui avaient été emportés sans laisser de traces. Personne n'avait réclamé leurs corps. Et c'est avec fatalisme que l'on achève l'information par une oraison funèbre étrange : « Oh ! Ils ont dû être emportés dans le Rhône... (un soupir).. personne ne les connaissait et on ne sait pas ce qu'ils sont devenus... »


A côté du pont romain, une petite plaque indique que, ce jour-là, l'eau avait atteint telle hauteur. Les étrangers s'arrêtent, s'ébahissent, se tournent pour vérifier cette information par rapport au parapet actuel et ensuite reprennent leur marche en vue d'une visite dans le vieux Vaison. Ce ne sont pas les vies détruites qui les touchent vraiment mais plutôt l'hallucinante hauteur que l'eau de cette minuscule rivière gonflée par des milliards de gouttes de pluie avait pu atteindre en quelques heures. « Incroyable ! Tu te rends compte ? » « Oui ! Bon, on y va ? Il est presque midi, il faut se trouver un petit resto. Tu n'as pas faim, toi ? » Les esprits changent de direction, zappent comme on dit aujourd'hui, les pas s'éloignent.
A l'entrée de Vaison, un insolite champ de menhirs accueille les étrangers. Chaque pierre a été gravée d'un dessin ou d'une phrase. Et chaque phrase est écrite dans une langue différente : une volonté certaine des Vaisonnais de garder, ici, le souvenir de ce drame.  Choisi parmi tant d'autres, ce lieu isolé fut celui où, en une fraction de seconde, des vies furent balayées sans distinction d'âges, de sexes, de nationalités, de religions...
Les touristes qui s'arrêtent et se promènent sur cet espace savent-ils encore qu'ici, le 22 septembre 1992, il y avait un lotissement au bord d'une jolie rivière et que nombre d'habitants y attendaient la fin de cette pluie ininterrompue, exaspérante et, en définitive, de plus en plus angoissante. Quelle ironie ! Ce quartier était nommé THEOS !

Peut-on en vouloir aux visiteurs d'aujourd'hui lorsqu'ils passent avec indifférence parmi les jalons de l'inondation de 1992 ? Les trop grandes catastrophes ne peuvent être saisies que dans leur globalité par ceux qui ne les ont pas vécues. Un phénomène d'auto protection empêche de s'appesantir sur les détails. Mais pour ceux qui ont été frappés de plein fouet, justement, ce sont les cas individuels, les détails, qui ont été gravés au fer rouge dans les souvenirs, les sentiments ou la mémoire.

Il y a quelques jours, fouinant parmi les rayonnages de la bibliothèque municipale de Vaison, je mis la main sur un livre au titre insolite : « L'APOCALYPSE SELON L'OUVEZE ». Je le tournai pour lire le texte de présentation situé en quatrième de couverture : deux phrases extraites du témoignage d'un homme qui avait survécu au drame attirèrent mon attention. J'emportai le livre et dès le soir, me mis à le lire. D'une traite, d'abord simplement émotionnée puis, les yeux humides m'obligeant à relire plusieurs fois les mêmes passages, j'arrivai à la dernière page.

Dire que ce livre est un chef-d'œuvre de la littérature serait un mensonge. En fait,c'est bien plus que cela. Ce témoignage tout simple vous emporte dans un tourbillon de sentiments contradictoires. Au fil des pages, vous êtes le mari heureux, le père aimant, l'homme angoissé par la montée des eaux, vous êtes la vague destructrice qui arrive, balayant tout sur son passage, vous devenez l'être humain brisé par la fatalité et vous êtes le désespoir qui mène à la folie. En peu de mots et sans aucun besoin de photos, l'auteur vous fait revivre cette journée et cette nuit cauchemardesques que furent celles du 22 et du 23 septembre 1992 à Vaison.

Après cette lecture, plus jamais vous ne pourrez passer devant la petite plaque du pont romain ou près du sanctuaire garni de menhirs avec un regard indifférent et des sentiments quelconques.
Ce livre est un réel hommage à tous ceux qui, connus, reconnus ou inconnus, français ou étrangers, retraités ou travailleurs laborieux ont péri, engloutis par la fureur du ciel et de la terre.

Merci à l'auteur.






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