Lycée Royal de M .... (suite)
La cinquième, encore et toujours
L'échappée dans les rues de M... m'aida à reprendre
ma respiration et l'air frais me fit du bien. Durant le trajet
qui me ramena chez moi, je ne vis le paysage qu'à travers les
pleurs contenus avec difficulté et ce ne fut que lorsque la porte de
notre maison se referma derrière moi que je pus enfin donner libre
cours à un déluge de larmes.
Quand, finalement, j'expliquai que l'institutrice
m'avait traitée de «petite imbécile» devant toute la classe, mon
père réagit au quart de tour. Cela, c'était inadmissible. Il ne le
tolérerait pas. Sa fille, une «petite imbécile»? On allait voir ce qu'on
allait voir. Cet homme, en général si doux, n'aimait pas que l'on
touche à sa progéniture. Sans plus se soucier de savoir pourquoi je
n'avais pas été capable de faire une division, sans essayer d'extraire les racines
du mal en prévoyant quelques leçons particulières, il partit, le
lendemain matin, faire un scandale dans ce vieux Lycée de M....
Chez la préfète dans un premier temps, en classe de cinquième primaire ensuite. Sur quoi, l'honneur des Moreau ayant été lavé, je fus retirée de cette institution barbare et inscrite à l'école communale du village.
Chez la préfète dans un premier temps, en classe de cinquième primaire ensuite. Sur quoi, l'honneur des Moreau ayant été lavé, je fus retirée de cette institution barbare et inscrite à l'école communale du village.
Cette réaction paternelle, véritable baume d'amour
pour mon cœur endolori, me redonna un peu de confiance en moi.
Suffisamment, en tout cas, pour que j'arrive à terminer, cahin-caha,
mes deux dernières années d'école primaire. Pourtant, le mal avait
été fait, l'humiliation trop profonde. Mon cerveau cadenassa définitivement le
recoin dévolu à la mathématique. Rongé par une haine féroce du calcul, il
lança ses métastases antimatheuses vers chaque exercice ennemi
lorsque l'un d'eux se présentait. Ce qui me valut, durant le reste
de mes études, de traîner la jambe dans la plupart des branches
scientifiques.
.....................
Incroyable mais vrai, bien des années plus tard,
fraîche émoulue de l'École Normale Primaire de Mons, je fus
désignée pour effectuer mon premier intérim au Lycée Royal de M.... Je m'y présentai donc, armée cette fois, d'un télégramme de désignation.
Le lycée n'avait pas changé. Chaque bâtiment,
exhaussé par un architecte mégalomane, présentait une couleur
uniforme : murs gris clair, toitures gris foncé, escaliers gris, même le
ciel bleu, parfois paraissait gris. Dès l'entrée, on se noyait dans
cette couleur de cendre et les sentiments devenaient sombres.
La lourde porte cochère et son porche vous mettaient
dans l'ambiance. La première se refermait avec un terrible bruit
d'enfermement définitif pour vous laisser dans l'ombre froide et
humide du second. Vous ne pouviez échapper au porche qu'après avoir
vendu la presque totalité de votre âme à un concierge-cerbère.
«Nom?» «Qualité?» «Raison de votre présence?» «Rendez-vous
ou pas?» Son regard glauque vous dévisageait pour vérification. Il
lui fallait déceler le moindre mensonge apparu dans une ride ou la
chute d'une paupière du visiteur. Le passage du Styx devait être
plus agréable. Lessivée, vous étiez lessivée avant d'avoir
atteint la première cour.
........................
Ce jour-là, j'arrivai donc au bureau de l'institutrice en chef.
Encore plus incroyable mais tout aussi vrai, la grande
prêtresse qui régissait maintenant les petites âmes de six à
douze ans s'appelait Madame D.....
Lorsque je me présentai à son bureau, mon nom ne lui
rappela rien, elle ne me reconnut pas.
Entretemps, les eaux de la Trouille* et de la Haine* avaient coulé sous les ponts et, devenu certain, l'âge de la dame
l'avait calmée. Elle m'accueillit avec des paroles très amènes, me
fit les recommandations d'usage pour une temporaire débutante et me
conduisit vers la classe à prendre en main durant quelques semaines
: la cinquième primaire.
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