Lycée Royal de M... (fin)
Normalienne fraîche émoulue
Tout
se serait parfaitement passé n'eût
été la
préfète de l'établissement qui avait survécu aux nombreuses
années écoulées mais dont le caractère, au contraire de celui de
sa subalterne, ne s'était nullement amélioré. En toute franchise,
d'acariâtre qu'il avait été dans les années cinquante, il était
devenu imbuvable dans les années soixante.
Le matin, elle traversait la cour de récréation,
drapée dans son étole en renard, pauvre animal mité, obligé de
la suivre depuis tant et tant d'années. Elle gravissait les marche
du perron pour venir s'y dresser comme la statue vengeresse de la
discipline compromise. Là, elle attendait que la sonnerie retentisse
et que les rangs se forment. «En silence, s'il vous plaît,
mesdemoiselles». Elle n'avait pas besoin de le rappeler chaque
matin, sa seule vue suffisait à faire baisser de trois tons les cris
des élèves les plus endiablées. Les rangs se formaient donc en
silence au pied du perron et chaque classe, l'une après l'autre,
gravissait les marches et passait devant elle et devant Madame
D... . Malheur alors à l'élève distraite qui oubliait de saluer de la tête en passant. Elle était extirpée de son rang d'une main
ferme et vertement réprimandée face au renard aux yeux vitreux.
Étant la plus jeune enseignante de la section
primaire, j'avais droit, avec une régularité de métronome, aux
entrées intempestives de la Préfète dans ma classe. La porte
s'ouvrait brusquement et Mademoiselle Du... s'y encadrait. Pas
seule, non, mais toujours accompagnée de son animal de compagnie.
Elle ne frappait jamais pour annoncer son arrivée. Prendre en
flagrant délit l'enseignante, fautive d'une quelconque omission de
règlement, semblait être devenu son sport favori.
Dans ma classe,
elle ne cherchait jamais longtemps. Il y avait toujours bien une
élève mal assise ou dont le cartable ne pendait pas au crochet du
banc ou dont les cheveux étaient retenus par un nœud trop voyant
ou... ou... ou... Enfin, rien ne lui échappait et plus c'était
mesquin, mieux elle le voyait.
Un matin, elle entra, son regard balaya la classe et se
posa sur une élève sans tablier (à cette époque, les tabliers
bleus à longues manches étaient obligatoires). Le plaisir de la
découverte illumina un bref instant son regard de hyène croqueuse
d'enfants : "Où est votre
tablier, mademoiselle?"
L'élève, paniquée, la regardait, bouche ouverte,
sans réagir.
Je voulus venir à son secours. Sans reprendre une
seule fois ma respiration, je débitai d'une voix monocorde : "Madame la Préfète,
elle ne l'a pas, je viens de le lui demander (ce qui était vrai)
mais elle l'a oublié chez elle car sa maman l'a lessivé hier et ne
l'a pas remis dans son cartable."
Ma misérable intervention ne fut pas une réussite. Un
grand sourire de victoire éclaira brusquement le visage de cette
préfète du diable.
- Ah, elle l'a
oublié chez elle? Voyons donc cela.
Elle avança d'un pas altier vers le banc de la
coupable, y arriva et souleva l'écritoire en bois qui composait le
dessus du pupitre. Horreur! Le tablier apparut aux yeux éberlués de
l'institutrice crédule que j'étais encore. Mais pas seulement aux
miens, aussi à ceux de la Préfète.
- Mademoiselle
Moreau, siffla-t-elle au milieu de la classe estourbie par ce mauvais
coup du sort, quand une élève aussi menteuse que celle-ci vous
fournira encore des excuses, vous êtes priée de les vérifier.
Quand à vous, mademoiselle Sz... , donnez-moi votre journal de classe.
Vous irez le rechercher chez Madame D... .
Tomber de Mademoiselle Du... en Madame D... n'équivalait pas, bien sûr, à tomber de Charybde en Scylla mais ce
n'était pas triste non plus. La classe en fut toute remuée pendant
quelques minutes et puis la vie reprit son cours.
Personne n'en
voulut à personne car la détestation que chacune éprouvait pour la
Préfète était un ciment assez fort pour souder toute une classe,
de l'élève la plus désobéissante à la maîtresse la plus
débutante.
Malgré tout, je garde quand même d'excellents
souvenirs de cet intérim. C'est dans cette première classe que je
commençai, pleine d'enthousiasme, à mettre mes connaissances de
jeune enseignante en pratique. Le cours de sciences fut un terrain
particulièrement privilégié.
Ainsi, mes élèves virent défiler,
en peu de temps, différentes observations qui me paraissaient
incontournables. L'étude du marronnier, de sa fleur fanée, de ses
bourgeons gluants, de ses bogues et de ses fruits immatures, fut
suivie par la dissection d'un poisson bien frais.
Frais ? à mon
humble avis, oui, mais que chacune observa le nez pincé entre deux doigts
et les yeux exorbités par l'horreur de la découverte peu habituelle de la nature .
Le poisson cuit à la poêle avec une tranche de
citron et une branche de persil, ces jeunes demoiselles de bonne
famille le connaissaient. Mais, les entrailles à l'air, l'animal
leur sembla moins familier. Et quand l'enseignante prit un chalumeau
afin de démontrer le rôle de la vessie natatoire en y soufflant de
toutes ses forces, quelques unes, le teint devenu crayeux, durent
retourner s'asseoir à leur place.
Crédit photo : www.intellego.fr/doc/19985 |
Crédit photo : 20min.fr |
La dissection d'un cœur de bœuf bien sanguinolent
sema un réel doute chez les élèves. Celle qui trônait sur
l'estrade n'était peut-être pas l'enseignante qu'elles désiraient
conserver jusqu'au 30 juin.
Pas de panique, mesdemoiselles, après la
recherche des oreillettes et des ventricules, la différenciation de
l'aorte et de l'artère pulmonaire, il vous suffira de dessiner
l'organe concerné, ce qui sera bien moins stressant. Non ?
Non !
Certaines avaient déjà tourné de l'œil. Enfin, elles étaient
peut-être bonnes comédiennes ! A cet âge, on ne peut jamais jurer
de leur honnêteté intellectuelle. Les sciences naturelles, c'était
quand même intéressant que diable !
De toute manière, à quoi auraient servi tant d'heures
d'étude à l'École Normale si le programme de sciences ne pouvait
être respecté à cause d'une ou deux petites syncopes ?
Je finis
quand même par me demander si ces futures demoiselles ne préféraient
pas une dictée de Grévisse ou quelques problèmes de l'impitoyable
Bourgaud à la connaissance de l'anatomie des vertébrés. Qu'à cela
ne tienne, le lendemain matin, elles seraient confrontées aux deux
tortionnaires des cerveaux enfantins. Je tenais vraiment à m'en
faire des amies.
Y ai-je réussi ? Je ne pourrais le dire. En ce
temps-là, la discipline était si bien respectée que des
récriminations trop vives étaient rares.
A cette même époque, le lycée dépendait d'un
inspecteur réputé pour son agressivité, ses crises de colère
caractérielles et sa mauvaise humeur permanente.
Lors de mon arrivée, chaque collègue, forte de son
ancienneté, eut à cœur de me mettre au parfum : l'une avait été sermonnée par l'Inspecteur
durant dix minutes devant toute la classe terrorisée, l'autre
avait vu son cahier de matière déchiré en deux avant d'atterrir,
toute affaire cessante, sur son bureau, une troisième avait été
convoquée au bureau pour y subir un lavage de cerveau en règle, une
autre encore s'était vu réprimander à cause de son rang mal
aligné...
Comme on me le fit comprendre, la liste des méfaits découverts par
cet inspecteur n'était pas exhaustive.
Je voulus connaître la fréquence des visites de ce
sinistre individu, me disant qu'après tout mon intérim serait
peut-être terminé lors de son prochain passage.
- Il vient tous les
samedis, me répondit une collègue.
- Tous les samedis ?
(ma voix s'était éraillée sous l'émotion). Mais pourquoi ? Où
habite-t-il ?
- Oh, il peut venir
à pied, il habite à Mons, sur le boulevard près de la prison. Et il vient tous les
samedis parce que c'est le jour où sa femme nettoie. Comme cela
ennuie Madame d'avoir son mari dans les pieds le jour de son
nettoyage, elle l'envoie au lycée.
Ouaip ! La paix pour l'une, la catastrophe pour les
autres. La justice ne pourrait vraiment jamais régner dans ce lycée
de malheur.
Enfin, malgré la peur qui plana sur mes heures de
cours chaque samedi, j'échappai au massacre des Innocents.
L'inspecteur ne vint jamais dans ma classe.
Que de souvenirs ! Pourquoi ne pas continuer sur les FBA. Courage que diable, j'attends avec impatience.
RépondreSupprimerHou là ! oui ! il y en aurait bien des souvenirs à raconter. Mais combien d'entre eux feraient grincer des dents ceux qui sont encore en vie et ont tellement bien profité des appuis politiques et des avantages en tant que chefs d'école SANS BREVET et qui se permettaient d'écraser le petit peuple sous leurs ordres !!! Je crois que je ne me ferais que des ennemis ( ou presque ... ) Il serait moins dangereux que je m'attaque aux talibans !!! Bien amicalement Anne
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