Lycée
Royal de M ......
La division
(N'ayant quasiment jamais été scolarisée durant les 3 premières années primaires et la 4ème ne m'ayant pas marquée par des acquis importants en mathématique ou autres matières, voici le souvenir d'un début de cinquième primaire)
J'étais seule, debout devant un tableau noir, si
souvent lavé, frotté, essuyé, qu'il en avait pris une teinte
verdâtre. Usé quoi.
Seule devant deux lignes blanches tracées à la craie,
l'une verticale et assez longue, l'autre horizontale, beaucoup plus
courte et accrochée haut sur le côté droit de sa voisine. De part
et d'autre, deux nombres. Celui de gauche était, de toute évidence,
plus important que celui de droite. De cet aspect des choses, j'avais
une conscience objective mais cette objectivité n'était d'aucune
valeur au regard de la méconnaissance des divisions qui était la
mienne. Car c'était bien une division qui se dressait devant moi
comme une potence. Il n'y manquait que la corde pour m'y pendre.
J'avais beau regarder cette opération sous toutes ses
coutures, je ne voyais vraiment pas comment il fallait s'y prendre
pour en venir à bout. Aide-toi et le ciel t'aidera! Mais où
était-il donc ce ciel qui aurait pu aider une jeune mécréante en
pleine déconfiture mathématique?
A vrai dire, j'étais tellement tétanisée par le
stress de la situation que je n'arrivais plus à penser. Le peu que
je connaissais du principe de la division écrite était maintenant
en déroute et plus les minutes passaient plus l'angoisse montait et
moins le cerveau fonctionnait. Un véritable Waterloo scolaire.
Et oui, je le savais bien qu'à gauche se trouvait un
gros nombre joufflu qui aurait dû être réduit à néant par le
petit agressif de droite et que ce dernier avait pour mission de
faire couler son adversaire à pic vers le bas du tableau. A part
cela, bernique! Tout s'embrouillait.
Depuis
cinq
minutes, mon esprit macérait dans un jus de désespoir noir suie et
mon corps, bloqué en position verticale, rêvait d'une chaise
salvatrice.
Osant à peine respirer, je sentais derrière moi,
toute une classe qui retenait son souffle dans l'attente de la très
probable explosion finale déclenchée par une institutrice au
tempérament volcanique, furieuse d'être tenue en échec par «cette
petite imbécile qui le faisait exprès de ne rien comprendre».
Mais non, je ne le faisais pas exprès, Madame D.... Si j'en avais eu la possibilité, cette division, je vous l'aurais
expédiée en deux coups de cuillère à pot. C'eut été un bonheur
que de la pulvériser d'une craie ferme, de cette même craie qui
pendouillait si lamentablement au bout de ma main fatiguée d'être
crispée. Je me serais fait une joie de prouver à toute la classe
que j'étais, moi aussi, capable d'effectuer correctement une
opération complexe. Et je t'aurais divisé à gauche, et multiplié
à droite, mentalement, pour vérifier, juste le plaisir de vérifier,
et je t'aurais soustrait à gauche, encore une fois, et j'aurais
accéléré la cadence, plus vite, encore plus vite jusqu'à la
réduction finale de tous les chiffres à zéro. Ah! Le bonheur, le
bonheur inégalé de voir ce zéro débouler enfin sur la ligne
d'arrivée.
Pour mon malheur, aucun chiffre n'avait encore quitté
la ligne de départ !
(à suivre)
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