Dans le haut de la
rue Félix Nihoul se trouvaient quelques terrains en friche destinés
probablement à de futures constructions. Envahis par les hautes
herbes, en été, ils offraient des terrains de jeux intéressants à
notre petite troupe et lors de nos parties de cache-cache, nous
utilisions souvent la hauteur des herbes pour trouver des refuges
faciles.
Face à ces
terrains, sur le trottoir perpendiculaire à notre rue, deux petits
magasins de village. Celui de gauche, une droguerie, offrait un
choix restreint de jouets, de pots de peinture et de quelques outils
pour des bricolages peu importants, celui de droite, une épicerie
sombre, peu achalandée, pouvait dépanner l'une ou l'autre ménagère
imprévoyante lors d'un besoin urgent de sel, de café ou de
macaroni. Ma mère s'y rendait régulièrement car nous avions
découvert que la plus âgée des deux épicières était une
lointaine cousine de mon père. Il était normal donc, pour
entretenir de bonnes relations familiales, de faire quelques achats
chez elles.
Mes amis et
moi-même, lorsque nous avions un petit franc à dépenser, aimions
aussi nous y rendre car c'était là que nous pouvions trouver des
oublies remplies de «sur», de gros cuberdons bien mauves ou des
boîtes de cachoux que nous adorions faire claquer en appuyant sur
les couvercles. Pour les deux vieilles épicières, nous
représentions une clientèle fidèle quoique un peu trop exubérante
lorsque nous envahissions à quatre ou cinq l'espace exigu de leur
échoppe. Mais, bon, en commerçantes avisées, elles n'allaient pas
trop rouspéter contre nos passages : un sou est toujours bon à
prendre.
Durant longtemps,
les relations furent correctes sinon excellentes entre les habitants
du quartier, les épicières et nous, les enfants, jusqu'au jour
où...
Un matin d'été,
n'ayant encore décidé d'aucun jeu précis, notre petit groupe
traînait le long des façades des deux magasins, allant d'une
vitrine à l'autre, réfléchissant à un achat éventuel tributaire
de nos minimes économies ou lorgnant en direction des rares clients
pour découvrir un petit travers vestimentaire dont nous pourrions
nous gausser à voix basse.
Mon regard se posa,
par hasard, sur un produit nouveau qui venait d'être installé dans
la vitrine de la droguerie : de petits cylindres cartonnés
terminés, à l'une des extrémités, par une demi-sphère grise et
rugueuse.
- Venez voir, ils
ont reçu des pétards!- Dis donc, il y en a de gros!
- Ouaw! Ils doivent faire un bruit terrible!
- Oui, mais combien coûtent-ils?
- Qui entre pour demander?
Il fut décidé que
nous entrerions tous. Nous poussant de l'épaule et nous bousculant,
nous envahîmes le magasin Celui-ci, contrairement à son voisin,
était spacieux et permettait à de nombreux clients de tourner
entre les pots de peinture sans rien bousculer. Notre entrée
fracassante ne créa donc pas de désordre parmi les marchandises.
Nous nous alignâmes le long du comptoir et, après une brève
hésitation, le plus franc des garçons demanda le prix des gros
pétards.
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