Les pétards (2)
Une marchande ayant
un tant soit peu de jugeote n'aurait pas accédé à notre demande.
Celle qui se tenait devant nous devait bien se rendre compte qu'aucun
d'entre nous n'avait plus de onze ou douze ans et que nos projets
n'étaient pas des plus honnêtes. Mais le désir de vendre fut le
plus fort et même s'il y eut hésitation, celle-ci fut vite balayée
et l'appât de l'argent joua en notre faveur.
La réponse nous
surprit car, en définitive, les pétards convoités n'étaient pas très
onéreux et, en réunissant nos économies mutuelles, nous pouvions
en acheter plusieurs ainsi qu'une boîte d'allumettes. Aussitôt
décidé, aussitôt fait. Les pièces de vingt-cinq centimes,
sortant de toutes les poches, vinrent rouler sur le lino du comptoir.
La droguiste arrêta leur course, les compta soigneusement de
l'index puis, la main pliée en cuillère, les fit glisser dans son
tiroir pour les remplacer par un petit paquet de pétards et une
boîte d'allumettes.
Sortis aussi vite
que nous étions entrés, nous nous précipitâmes dans les hautes
herbes des terrains en friche où nous nous assîmes en cercle pour
ne pas être repérés par un éventuel passant. Le partage de
notre achat fut équitable et, à tour de rôle, nous frottâmes le
bout rugueux des pétards sur la partie latérale de la boîte
d'allumettes pour provoquer leurs mises à feu après quoi, sans
tarder, nous les envoyâmes, l'un après l'autre dans n'importe
quelle direction où ils explosèrent dans des fracas d'enfer.
Ce matin-là, notre
jeu consista donc, à notre plus grande joie, à faire un maximum de
bruit pour ameuter notre quartier tout en ne nous faisant pas
repérer.
L'animation fut
réussie mais pas au goût de tout le monde. Les habitants les plus
proches des terrains en friche grincèrent des dents et le firent
savoir. C'est ainsi que, de voisin à voisin, il fut demandé d'un
peu mieux surveiller cette bande de jeunes anarchistes qui créaient
la révolution non par des idées nouvelles (quoique les nôtres ne
manquaient ni de sel ni de soufre) mais par le bruit. La demande
arriva aux oreilles de mes parents.
Mon père avait une
sainte horreur de tout tracas qui pouvait venir perturber le
déroulement de ses corrections ou de ses lectures. Cette horreur
atteignait un point culminant quand le gêneur venait remettre en
cause le système éducatif utilisé pour ses propres filles. Les
récriminations des habitants du haut de la rue, ayant suivi la
pente du caniveau jusqu'à notre demeure, ne lui plurent donc pas.
En accord avec ma mère, il décida que je ne pouvais plus acheter de
pétards et mes remontées de la rue furent étroitement surveillées
durant quelques heures.
Les achats de
pétards, bien sûr, continuèrent ainsi que les explosions mais nous
prenions la précaution de ne plus rester dans notre quartier. Des
bois plus éloignés nous ouvrirent leurs branches et le gibier y
disparut durant plus d'une semaine.
Les explosions
étaient très amusantes mais, à la longue, devenues trop
répétitives, elles nous ennuyèrent. Nous nous mîmes à réfléchir
au moyen de varier notre plaisir. Quatre, cinq ou six cerveaux
d'enfants qui cogitent finissent toujours par trouver une solution
mais il faut reconnaître que ce n'est pas nécessairement la
meilleure.
L'un d'entre nous
se souvint que, dans les westerns qu'il adorait, les utilisateurs de
dynamite plaçaient cette dernière dans une anfractuosité pour
obtenir un meilleur résultat. Son explication paraissait logique et
nous cherchâmes quelques pierres pour y introduire l'un de nos
pétards. L'effet fut peu probant. Une nouvelle tentative dans un
vieux tronc d'arbre n'apporta pas le succès escompté. Il fallait
trouver un objet déjà suffisamment branlant pour concrétiser nos
expériences de dynamiteurs en herbe. Nous allions y réfléchir.
Notre groupe ayant
quitté les bois, nous nous dirigions, ce jour-là, vers notre rue à
pas peu pressés. A part nous, pas un chat à l'horizon. Midi
venait de sonner, le soleil d'été écrasait les ombres sous nos
pieds et nous nous sentions plutôt flapis d'avoir trop arpenté nos
différents domaines. Nous longions les deux magasins lorsque mon
regard tomba sur la porte de l'épicerie. A mi-hauteur, la serrure
en cuivre bien astiqué brillait, tentante en diable. Le trou
utilisé pour y placer la clé avait l'exact diamètre de nos
pétards. J'arrêtai le groupe pour lui faire part de ma
découverte. L'idée parut à tous la meilleure que nous ayons eue
depuis quelques jours. Sans attendre, nous introduisîmes l'un de
nos derniers pétards dans le trou tentateur, frottâmes rapidement
notre boîte d'allumettes sur le bout qui émergeait encore puis,
courant comme des dératés, nous plongeâmes d'un même élan dans
les hautes herbes pour nous y camoufler. Seules, nos têtes
émergèrent avec prudence pour vérifier le résultat de notre
expérience.
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