Ce vendredi-là marqua un tournant dans ma vie. En ce début de matinée, je sortis de chez ma mère pour aller faire un tour sur le marché de Mons. Arrivée sur le trottoir, je vis un jeune couple rigolard se dirigeant dans ma direction. Les deux semblaient pleins d'énergie et de bonheur. Le soleil matinal les avait effleurés de sa grâce et leurs yeux pétillaient de coquineries futures, de ces coquineries qui sont l'apanage d'un début de vie adulte entamé sans grands problèmes.
Le couple marqua un arrêt brusque face à moi et le jeune homme me demanda trop aimablement :
- Voulez-vous un chat ?
J'aurais dû me méfier et être très attentive à ma réponse mais l'air , ce matin-là, était tellement doux ...
- Un chat ? Dis-je étonnée. Mais où voyez-vous un chat ?
Je m'apprêtais à entendre une blague énorme comme savent vous en raconter les jeunes, amateurs de ce genre d'intermède, bien décidés à égayer leur journée par un gag supplémentaire.
- Ici ! Dit-il et il entrouvrit sa veste.
Comme un prestidigitateur sort un lapin de son chapeau, le jeune plongea la main dans la poche intérieure du vêtement d'où il extirpa avec précaution un chaton noir et blanc qu'il tendit dans ma direction.
L'animal, ses yeux immenses agrandis parcet épisode de vie un peu tumultueux m'observa avec attention sans émettre le moindre son.
- Mais d'où vient ce petit chat ? demandai-je ahurie.
- Oh ! Nous venons de le trouver dans le caniveau, là, après le tournant. Il a dû se perdre.... ou être perdu... je ne sais pas. Nous l'avons ramassé car il aurait fini par se faire écraser. Vous savez, c'est le marché et il y a déjà beaucoup de monde Mais, honnêtement, nous sommes étudiants tous les deux et nous ne pouvons pas le garder. Si vous voulez le prendre cela nous arrangerait bien.
S'approchant de moi, le jeune homme me fit admirer le chaton d'un peu plus près encore.
Elle était vraiment craquante cette petite boule de poils. Dans ses yeux, un grand espoir d'amour avait commencé à briller. L'animal, sorcier avant l'heure, tissait déjà une toile de sentiments tendres entre lui et moi. Refuser fut impossible. Je tendis les mains dans lesquelles le jeune homme déposa avec délicatesse le doux corps si léger. En vérité, sans que je m'en sois rendu compte la transaction venait d'être conclue.
- Oh, merci, madame, un grand merci. En vérité,vous nous rendez service.
Et
rapidement, les deux jeunes s'éloignèrent sans plus se retourner,
me laissant plantée sur le trottoir avec le chat entre les mains.
Barthélémy venait d'entrer dans ma vie.
Bon,
reconnaissons-le, tout ne fut pas aussi rose que prévu. La première
étape à franchir fut celle qui consista à faire admettre à ma
mère que, sur un coup de tête irréfléchi, je venais de refaire ma
vie avec un chat. Je pris donc mon courage à deux mains et je
remontai dans l'appartement maternel.
Bien entendu, les hurlements se firent entendre immédiatement.
« D'où vient ce chat ? Mais à quoi as-tu encorrre* pensé ? Que comptes-tu fairrre de cet animal ? Qui va s'en occuper quand tu irrras travailler ? Ce serrront encore des dépenses inutiles. Et il va tout grrriffer ! Il est tout jeune, que vas-tu lui donnerrr à manger ? Où comptes-tu le placer quand tu partirrras en vacances ? Etc... etc ... »
Ensuite, les cris allèrent decrescendo, la première manche venait d'être gagnée. Il avait suffit d'attendre en répondant le moins possible. Le jeux de la motte de terre immobile et terne, je le connaissais depuis longtemps. En général, il m'était assez favorable.
Après avoir donné un filet de lait coupé d'eau à la petite bête, je laissai ma mère et le chat faire plus ample connaissance et repartis sur le marché en quête d'un collier et d'un bac à litière sans oublier un sachet de granulés.
J'achetai aussi un énorme bouquet de fleurs afin d'adoucir l'humeur de notre chère Tamara. Un magnifique bouquet et le tour serait définitivement joué.
Mine de rien, ma mère a toujours eu le cœur tendre et malléable. Et pourtant, Dieu seul sait à quel point elle n'a jamais aimé les chats. Avec l'un d'eux, elle avait dû avoir une grosse mésaventure dans sa prime jeunesse. Malheureusement, elle-même ne se souvenait pas de l'incident et ne put donc jamais expliquer son rejet de tout animal poilu.
Avec ma sœur et moi, elle fut bien servie. Les chats fleurirent dans nos vies comme pâquerettes dans les prairies. Sans parler des chiens qui, chez sa cadette, firent régulièrement des entrées tumultueuses.
* Étant née en Russie et ayant appris à parler dans la langue de Tolstoï et de Pouchkine, jamais ma mère ne perdit cet accent dans lequel les rrrrr rrroulent comme les galets dans le lit d'un torrrrent...
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