Une expression qui m'enchantait, étant jeune, c'était celle qu'utilisait ma grand-mère pour dire d'une personne qu'elle était désobéissante, trop franche ou qu'elle faisait les quatre cents coups*. Elle prenait alors un ton de gravité sentencieuse pour déclarer : « Mais celle-là (ou celui-là), elle (il) a vu le loup ! ».
Bien souvent, je me suis entendu dire par mon aïeule que j'avais vu le loup. Trop jeune, je n'ai jamais su où dormait cet animal ni dans quel coin du jardin il rôdait et encore moins à quel endroit de la maison se trouvait sa tanière. L'avais-je réellement rencontré ? Allez savoir ! Mais ma grand-mère était formelle, je l'avais vu.
Bon, il faut dire que je n'étais pas toujours très sage ni très obéissante.
Mais, à ma décharge, il faut reconnaître que, après
avoir vu le beau poilu, je ne suis jamais allée le dénoncer auprès
d'aucun adulte. Ce fait est quand même d'une belle rectitude morale.
Entre le loup et moi, une parfaite entente s'était établie et je
n'allais pas la détruire par des dénonciations mesquines.
Ma sœur n'a pas dû souvent rencontrer le canidé car je n'ai pas souvenir de ce reproche adressé à mon aînée. Je trouve que c'est dommage pour elle car il est, dans notre courte vie, des rencontres inoubliables qu'il ne faut pas rater. De toute manière, malgré les frasques dont elle était capable, il était acquis, auprès de tous les membres de la famille et une fois pour toutes, qu'elle était plus sage que moi.
Mon grand-père avait pris un autre chemin pour aborder le point de vue de la sagesse ou du manque de sagesse chez ses petites-filles. Face à l'inanité de ses efforts pour calmer mes caprices ou mes désobéissances, il me disait : « Vous, vous êtes Sophie. Votre sœur, c'est une des petites filles modèles ». Cette référence à la comtesse de Ségur avait un impact terrible. A force d'avoir lu le livre, je connaissais « Les malheurs de Sophie » par cœur. La comparaison m' humiliait et je détestais l'humour caustique de mon aïeul.
Enfin, c'était comme ça. Je n'étais pas une enfant facile et Lupus canis marcha souvent sur les mêmes chemins que moi.
Mais,
dans notre famille, celle qui vit le plus souvent le loup et qui
dansa même avec lui, ce fut ma tante Lucie, la sœur de ma
grand-mère.... mais là, c'est une tout autre histoire...
* https://www.projet-voltaire.fr/origines/expression-faire-les-quatre-cents-coups/
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